Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/271

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Eût redit tes doux sons sans murmure écoutés,
T’en allais-tu chercher la muse des cités ;
Cette muse, d’éclat, de pourpre environnée,
Qui le glaive à la main, du diadème ornée,
Vient au peuple assemblé, d’une dolente voix,
Pleurer les grands malheurs, les empires, les rois ?
Que n’étais-tu fidèle à ces muses tranquilles
Qui cherchent la fraîcheur des rustiques asiles,
Le front ceint de lilas et de jasmins nouveaux,
Et vont sur leurs attraits consulter les ruisseaux ?
Viens dire à leurs concerts la beauté qui te brûle.
Amoureux, avec l’âme et la voix de Tibulle,
Fuirais-tu les hameaux, ce séjour enchanté
Qui rend plus séduisant l’éclat de la beauté ?
L’amour aime les champs, et les champs l’ont vu naître.
La fille d’un pasteur, une vierge champêtre,
Dans le fond d’une rose, un matin du printemps,
Le trouva nouveau-né..........
Le sommeil entr’ouvrait ses lèvres colorées.
Elle saisit le bout de ses ailes dorées,
L’ôta de son berceau d’une timide main,
Tout trempé de rosée, et le mit dans son sein.
Tout, mais surtout les champs sont restés son empire.
Là tout aime, tout plaît, tout jouit, tout soupire ;
Là de plus beaux soleils dorent l’azur des cieux ;
Là les prés, les gazons, les bois harmonieux,
De mobiles ruisseaux la colline animée,
L’aine de mille fleurs dans les zéphyrs semée ;
Là parmi les oiseaux l’amour vient se poser ;
Là sous les antres frais habite le baiser.
Les muses et l’amour ont les mêmes retraites.