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Raconte en ce tombeau quel malheureux habite ;
Quels maux ont abrégé ses rapides instants ;
Qu’il fut bon, qu’il aima, qu’il dut vivre longtemps.
Ah ! le meurtre jamais n’a souillé mon courage[1].
Ma bouche du mensonge ignora le langage,
Et jamais, prodiguant un serment faux et vain,
Ne trahit le secret recélé dans mon sein.
Nul forfait odieux, nul remords implacable
Ne déchire mon âme inquiète et coupable.
Vos regrets la verront pure et digne de pleurs ;
Oui, vous plaindrez sans doute, en mes longues douleurs,
Et ce brillant midi qu’annonçait mon aurore,
Et ces fruits dans leur germe éteints avant d’éclore,
Que mes naissantes fleurs auront en vain promis.
Oui, je vais vivre encore au sein de mes amis.
Souvent à vos festins qu’égaya ma jeunesse,
Au milieu des éclats d’une vive allégresse,
Frappés d’un souvenir, hélas ! amer et doux,
Sans doute vous direz : « Que n’est-il avec nous ! »

Je meurs. Avant le soir j’ai fini ma journée.
À peine ouverte au jour, ma rose s’est fanée.
La vie eut bien pour moi de volages douceurs ;
Je les goûtais à peine, et voilà que je meurs.
Mais, oh ! que mollement reposera ma cendre,
Si parfois un penchant impérieux et tendre
Vous guidant vers la tombe où je suis endormi,
Vos yeux en approchant pensent voir leur ami !
Si vos chants de mes feux vont redisant l’histoire ;
Si vos discours flatteurs, tout pleins de ma mémoire,

  1. Par le mor meurtre le poète désigne le duel.