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Et quand d’âpres cailloux la pénible rudesse
De tes pieds délicats offense la faiblesse,
Mes bras ne sont point là pour presser lentement
Ce fardeau cher et doux et fait pour un amant !
Ah ! ce n’est pas aimer que prendre sur soi-même
De pouvoir vivre ainsi loin de l’objet qu’on aime.
Il fut un temps, Camille, où plutôt qu’à me fuir
Tout le pouvoir des dieux t’eût contrainte à mourir !

Et puis d’un ton charmant ta lettre me demande
Ce que je veux de toi, ce que je te commande.
Ce que je veux ? dis-tu. Je veux que ton retour
Te paraisse bien lent ; je veux que nuit et jour
Tu m’aimes. (Nuit et jour, hélas ! je me tourmente.).
Présente au milieu d’eux, sois seule, sois absente ;
Dors en pensant à moi ; rêve-moi près de toi ;
Ne vois que moi sans cesse, et sois toute avec moi.


IV[1]


Ah ! je les reconnais, et mon cœur se réveille.
Ô sons ! ô douces voix chères à mon oreille !
Ô mes Muses, c’est vous ; vous mon premier amour,
Vous qui m’avez aimé dès que j’ai vu le jour !
Leurs bras, à mon berceau dérobant mon enfance,
Me portaient sous la grotte où Virgile eut naissance,
Où j’entendais le bois murmurer et frémir,
Où leurs yeux dans les fleurs me regardaient dormir.

  1. Éditions 1819.