Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais lui, sans écouter mes rustiques leçons,
M’apprenait à son tour d’amoureuses chansons :
La douceur d’un baiser et l’empire des belles ;
Tout l’Olympe soumis à des beautés mortelles ;
Des flammes de Vénus Pluton même animé ;
Et le plaisir divin d’aimer et d’être aimé.
Que ses chants étaient doux ! je m’y laissai surprendre.
Mon âme ne pouvait se lasser de l’entendre.
Tous mes préceptes vains, bannis de mon esprit,
Pour jamais firent place à tout ce qu’il m’apprit.
Il connaît sa victoire, et sa bouche embaumée
Verse un miel amoureux sur ma bouche pâmée.
Il coula dans mon cœur ; et, de cet heureux jour,
Et ma bouche et mon cœur n’ont respiré qu’amour.


III[1]


Ô lignes que sa main, que son cœur a tracées !
Ô nom baisé cent fois ! craintes bientôt chassées !
Oui : cette longue route, et ces nouveaux séjours,
Je craignais… Mais enfin mes lettres, nos amours,
Ma mémoire, partout sont tes chères compagnes.
Dis vrai ? suis-je avec toi dans ces riches campagnes
Où du Rhône indompté l’Arve trouble et fangeux
Vient grossir et souiller le cristal orageux ?

Ta lettre se promet qu’en ces nobles rivages

  1. Édition 1819. Adressé à Mme de Beneuil.