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et crient entre eux ; et, dans le danger, ils ne savent que pleurer et se mettre à genoux et nommer tous les dieux par leurs noms et surnoms. Travaillez… cela vaudra mieux. Matelot, tiens ferme, etc… Oh ! cette vague me cassera le gouvernail… Dieux ! nous sommes engloutis… Non, ce n’est rien… Eh bien, que fais-tu là ? toi, Siphniote imbécile ?… que ne vas-tu aider ?…

— Je suis un homme libre.

— Homme libre, travaille, de peur que dans peu… ta liberté ne soit esclave de Pluton… Ah ! c’est fini…

Voilà tout le peuple accouru sur la côte… ils sont bonnes gens. Ils venaient nous voir noyer, et ils nous auraient fait de beaux cénotaphes de marbre du Ténare, avec des épitaphes où ils auraient cité notre exemple à ceux qui s’embarquent. Ils sont, par Jupiter, humains et secourables. Il vaut mieux toutefois leur épargner ces soins.

— Allons, nous allons relâcher sur la côte… Eh bien ! vous qui faisiez des vœux ?… Vos cent brebis, cent bœufs, cent moutons ? Voyons, donnez-nous-en un ou deux à compte sur le rivage, ça nous refera un peu.

Α. — Moi, je n’ai rien promis… je ne suis pas riche.

Le pilote. — Comment, tu n’es pas riche ? et ces belles étoffes, et ces belles marchandises que tu as apportées de Tartessus, de Bétis, etc. (Il lui répète ses mêmes paroles.)

Le Myconien. — Moi, je suis pauvre comme ma patrie, mais pas assez pour ne pas pouvoir tous nous régaler d’un mouton, etc…

Β. — Moi, j’ai promis, mais je tiendrai mon vœu quand je serai sur le rivage même de mon île.

Γ. — Mais, patron, tu as interrompu nos vœux… les dieux n’ont pas pu les entendre :

Ta forte voix tonnant plus haut que la tempête…

Ils nous exauçaient d’avance ; nous ne sommes tenus rien. Pour une autre fois nous cardons nos offrandes.