Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/137

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Tu vois dans quels ennuis dépérissent mes jours.
Ma mère bien-aimée, ah ! viens à mon secours :
Je meurs ; va la trouver : que tes traits, que ton âge,
De sa mère à ses yeux offrent la sainte image.
Tiens, prends cette corbeille et nos fruits les plus beaux,
Prends notre Amour d’ivoire, honneur de ces hameaux ;
Prends la coupe d’onyx à Corinthe ravie :
Prends mes jeunes chevreaux, prends mon cœur, prends ma vie ;
Jette tout à ses pieds ; apprends-lui qui je suis ;
Dis-lui que je me meurs, que tu n’as plus de fils.
Tombe aux pieds du vieillard, gémis, implore, presse ;
Adjure cieux et mers, dieu, temple, autel, déesse ;
Pars ; et si tu reviens sans les avoir fléchis,
Adieu, ma mère, adieu, tu n’auras plus de fils.

— J’aurai toujours un fils ; va, la belle espérance
Me dit… » Elle s’incline, et, dans un doux silence,
Elle couvre ce front, terni par les douleurs,
De baisers maternels entremêlés de pleurs.
Puis elle sort en hâte, inquiète et tremblante.
Sa démarche est de crainte et d’âge chancelante.
Elle arrive ; et bientôt revenant sur ses pas,
Haletante, de loin : « Mon cher fils, tu vivras,
Tu vivras. » Elle vient s’asseoir près de la couche :
Le vieillard la suivait, le sourire à la bouche.
La jeune belle aussi, rouge et le front baissé,
Vient, jette sur le lit un coup d’œil. L’insensé
Tremble ; sous ses tapis il veut cacher sa tête.
« Ami, depuis trois jours tu n’es d’aucune fête
Dit-elle ; que fais-tu ? pourquoi veux-tu mourir
Tu souffres. On me dit que je peux te guérir