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Il se dépouille alors, prêt à parler en maître,
De ses lambeaux trompeurs qui l’ont fait méconnaître ;
S’élance sur le seuil, l’arc en main ; à ses pieds
Verse au carquois fatal tous les traits confiés ;
Et là : « Nous achevons un jeu lent et pénible,
Princes : tentons un but plus neuf, plus accessible,
Et si les Dieux encor me gardent leur faveur… »
Et la flèche aussitôt, docile à l’arc vengeur,
Va sur Antinoüs se fixer d’elle-même.
Le fier Antinoüs dans cet instant suprême,
Tenait en main sa coupe, ouvrage précieux,
Où pétillait dans l’or un vin délicieux.
La crainte, le trépas sont loin de sa pensée,
Et qu’un seul homme, aux yeux d’une troupe empressée,
Plus que vingt bras armés quand son bras serait fort,
Pût oser l’attaquer et lui porter la mort.
Sur ses lèvres déjà la coupe reposée
Du nectar écumant lui versait la rosée,
Quand le fer, qu’à grand bruit fait voler l’arc nerveux,
Vient lui percer la gorge et sort dans ses cheveux.
Sa tête se renverse et l’entraîne et succombe.
La coupe de sa main fuit. Il expire. Il tombe.
Sa bouche, tous ses traits en longs et noirs torrents
Jaillissent. Sous ses pieds agités et mourants,
Tables, vases, banquet, tout tombe, tout s’écroule
Tout est souillé de sang. De leurs sièges en foule
Ils s’élancent soudain. Confus, tumultueux,
Ils errent. Leurs regards sur les murs somptueux
Cherchent, fouillent partout ; et rien à leur vengeance
Ne présente une épée ou le fer d’une lance.
Ils entourent Ulysse, et d’un œil de courroux :