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mal, ont été contraints de fuir après avoir vu leur asile violé, leur famille insultée ; après avoir, eux et les leurs, échappé difficilement. Ceux-là, si leurs cœurs ulcérés les éloignaient à jamais de la France, s’ils ne pouvaient point lui faire le sacrifie de leur ressentiment, qui oserait leur en faire précisément un crime ? Ceux-là, j’ai honte de le dire, nous avons moins a leur faire des reproches que des réparations : c’est à eux de nous pardonner.

Il en est d’autres, qui jadis maîtres et tout-puissants dans l’État, dénués de talents et de mérite, ne seront plus jamais rien, parce qu’ils n’ont jamais dû rien être ; n’ont plus rien, parce qu’ils ne vivaient que d’extorsions et d’abus, et qu’un luxe prodigue épuisait dans leurs mains des déprédations immenses. Ceux-là, il est difficile de croire qu’ils deviennent jamais de bons Français. Mais hors ce petit nombre, tous les autres rentreront dès qu’ils verront la porte ouverte. La persécution ne fait pas de prosélytes, elle ne fait que des martyrs. Qu’on cesse de les effrayer, et ils cesseront d’être à craindre. Mais je veux admettre qu’ils le soient toujours, et autant qu’on le dit ; j’admets que nous soyons menacés par des millions d’ennemis extérieurs et intérieurs : avons- nous pensé que l’on acquérait la liberté sans obstacles ? Je vois, dans toutes les histoires des peuples libres, leur liberté naissante attaquée de mille manières ; et je ne vois pas que les issues de presque toutes ces guerres doivent trop abattre notre courage. Nos alarmes subites aux plus absurdes nouvelles, nos espèces de terreurs paniques, sont-elles un bon moyen