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avec une si prodigieuse inégalité de force, de nombre et de moyens ?

Je crois même hors de doute que le plus grand nombre serait déjà revenu s’il l’eût osé, et qu’ils dépenseraient parmi nous leur fortune, dont le vide se fait sentir. Beaucoup de gens qui détestaient l’ancien régime vivaient sous l’ancien régime ; pourquoi tous ceux qui n’aiment pas le nouveau aimeraient-ils mieux s’exiler que d’y vivre, s’ils croyaient le pouvoir en sûreté ? Mais leurs amis leur mandent comment ils courraient risque d’être accueillis ; ils leur apprennent les visites, les interrogatoires, toutes ces perquisitions plus gênantes pour l’innocent que terribles pour le coupable. Des courriers arrêtés sur les frontières, menacés, renvoyés ; des lettres ouvertes ; les secrets des cabinets politiques, ceux des familles et des particuliers, plus sabrés encore, violés, divulgués, diffamés ; et par qui ? par des magistrats, par des officiers municipaux ; par ceux que des suffrages li-, libres et un choix réfléchi ont déclarés les plus sages de leurs cantons. Ils apprennent encore que des groupes de peuple, tantôt proposent de les forcer à revenir au bout d’un tel temps, à défaut de quoi, que leurs biens soient confisqués, quoiqu’un décret de l’Assemblée nationale prohibe les confiscations dans tous les cas ; tantôt inventent d’autres moyens, tous du même genre. Cela est-il bien encourageant ? Cela est-il propre à leur offrir leur patrie sous un aspect riant et doux ? Qu’on change de méthode, ou qu’on cesse d’accuser leur absence.

Au reste, n’oublions pas qu’il en est plusieurs qui, sans avoir jamais mérité aucun blâme, ni fait aucun