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le droit, tous ont l’imprudente prétention d’y concourir autrement que par une docilité raisonnée. Tous veulent non-seulement assister et veiller au tout ; mais encore présider au moins à une partie de l’édifice ; et, comme toutes ces réformes partielles ne sont pas d’un intérêt général aussi évident ni aussi frappant pour la multitude, l’unanimité n’est pas aussi grande ni aussi active ; les efforts se croisent : un si grand nombre de pieds retarde la marche ; un si grand nombre de bras retarde l’action.

Dans cet état d’incertitude, la politique s’empare de tous les esprits ; tous les autres travaux sont en suspens ; tous les antiques genres d’industrie sont dépaysés ; les têtes s’échauffent ; on enfante ou on croit enfanter des idées ; on s’y attache, on ne voit qu’elles ; les patriotes, qui dans le premier instant ne faisaient qu’un seul corps, parce qu’ils ne voyaient qu’un but, commencent à trouver entre eux des différences le plus souvent imaginaires. Chacun s’évertue et se travaille, chacun veut se montrer, chacun veut porter le drapeau ; chacun exalte ce qu’il a déjà fait et ce qu’il compte faire encore ; chacun, dans ses principes, dans ses discours, dans ses actions, veut aller au-delà des autres. Ceux qui, depuis longues années, imbus et nourris d’idées de liberté, ayant prévenu par leurs, pensées tout ce qui arrive, se sont trouvés prêts d’avance, et demeurent fermes et modérés, sont taxés d’un patriotisme peu zélé par les nouveaux convertis, et n’en font que rire. Les fautes, les erreurs, les démarches mal combinées, inséparables d’un moment où chacun croit devoir agir pour soi et pour tous, donnent