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beaucoup plus d’activité, de vigilance, de rapidité dans les résolutions, que les vrais citoyens, qui ne veulent que maintenir leurs droits et les droits de tous, et qui ne veulent point faire de la chose publique leur chose privée. En effet, les premiers, ne voyant rien que le but de leur ambition, ne ménagent rien pour y parvenir ; toute arme, tout moyen leur est bon, pourvu que les obstacles soient levés. Ils savent d’ailleurs qu’ils n’ont qu’un moment, et que, s’ils laissent aux humeurs populaires le temps de s’apaiser, ils sont perdus. Ainsi, tout yeux, tout oreilles, hardis, entreprenants, avertis à temps, préparés à tout, ils pressent, ils reculent, ils s’élancent à propos, ils se tiennent, ils se partagent ; leur doctrine est versatile, parce qu’il faut suivre les circonstances, et qu’avec un peu d’effronterie les mêmes mots s’adaptent facilement à des choses diverses ; ils saisissent l’occasion, ils la font naître, et finissent quelquefois par être vainqueurs : quittes ensuite, lorsque l’effervescence est calmée, mais que le mal est fait, à retomber dans un précipice aussi profond que leur élévation avait été effrayante et rapide. Tandis que souvent les fidèles sectateurs de la vérité et de la vertu, craignant de les compromettre elles- mêmes par tout ce qui pourrait ressembler à des moyens indignes d’elles ; ennemis de tout ce qui peut avoir l’air de violence, se reposant sur la bonté de leur cause, espérant trop des hommes, parce qu’ils savent que tôt ou tard ils reviennent à la raison ; espérant trop du temps, parce qu’ils savent que tôt ou tard il leur fait justice ; perdent les moments favorables, laissent dégénérer leur prudence en timidité, se découragent, composent avec l’avenir et enveloppés de leur conscience, finissent