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» Je le connais ; je fus son ami comme toi.
» D’un même sort jaloux une même injustice
» Nous a tous deux plongés au même précipice.
» Il me donna jadis (ce bien seul m’est resté)
» Sa marque d’alliance et d’hospitalité.
» Vois si tu la connais. » Ô surprise ! Immobile,
Lycus a reconnu son propre sceau d’argile ;
Ce sceau, don mutuel d’immortelle amitié,
Jadis à Cléotas par lui-même envoyé.

Il ouvre un œil avide, et long-temps envisage
L’étranger. Puis enfin sa voix trouve un passage.
« Est-ce toi, Cléotas ? toi, qu’ainsi je revoi ?
» Tout ici t’appartient. Ô mon père ! est-ce toi ?
» Je rougis que mes yeux aient pu te méconnaître.
» Ô Cléotas ! mon père ! ô toi, qui fus mon maître
» Viens ; je n’ai fait ici que garder ton trésor ;
» Et ton ancien Lycus veut te servir encor.
» J’ai honte à ma fortune en regardant la tienne. »

Et dépouillant soudain la pourpre tyrienne
Que tient sur son épaule une agrafe d’argent,
Il l’attache lui-même à l’auguste indigent.
Les convives levés l’entourent ; l’allégresse
Rayonne en tous les yeux. La famille s’empresse ;
On cherche des habits, on réchauffe le bain.
La jeune enfant approche, il rit ; lui tend la main.
« Car c’est toi, lui dit-il, c’est toi qui la première
» Ma fille, m’as ouvert la porte hospitalière. »