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» Je fus riche, autrefois : mon banquet opulent
» N’a jamais repoussé l’étranger suppliant.
» Et pourtant aujourd’hui la faim est mon partage,
» La faim qui flétrit l’aine autant que le visage,
» Par qui l’homme souvent importun, odieux,
» Est contraint de rougir et de baisser les yeux.

» — Étranger, tu dis vrai, le hasard téméraire
» Des bons ou des méchans fait le destin prospère.
» Mais sois mon hôte. Ici l’on hait plus que l’enfer
» Le public ennemi, le riche au cœur de fer,
» Enfant de Némésis, dont le dédain barbare
» Aux besoins des mortels ferme son cœur avare.
» Je rends grâce à l’enfant qui t’a conduit ici.
» Ma fille, c’est bien fait ; poursuis toujours ainsi.
» Respecter l’indigence est un devoir suprême.
» Souvent les immortels (et Jupiter lui-même)
» Sous des haillons poudreux, de seuil en seuil traînés,
» Viennent tenter le cœur des humains fortunés. »

D’accueil et de faveur un murmure s’élève.
Lycus descend, accourt, tend la main, le relève :
« Salut, père étranger ; et que puissent tes vœux
» Trouver le ciel propice à tout ce que tu veux.
» Mon hôte, lève-toi. Tu parais noble et sage ;
» Mais cesse avec ta main de cacher ton visage.
» Souvent marchent ensemble indigence et vertu ;
» Souvent d’un vil manteau le sage revêtu,
» Seul, vit avec les dieux et brave un sort inique.
» Couvert de chauds tissus, à l’ombre du portique,