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Sont à mon triste cœur des plaisirs étrangers,
Que parles-tu de dieux, de nymphes et d’offrandes ?
Moi, je n’ai pour les dieux ni chaume ni guirlandes ;
Je les crains, car j’ai vu leur foudre et leurs éclairs ;
Je ne les aime pas, ils m’ont donné des fers.

LE CHEVRIER.

Eh bien ! que n’aimes-tu ? Quelle amertume extrême
Résiste aux doux souris d’une vierge qu’on aime ?
L’autre jour à la mienne, en ce bois fortuné,
Je vins offrir le don d’un chevreau nouveau né.
Son œil tomba sur moi, si doux, si beau, si tendre !
Sa voix prit un accent ! Je crois toujours l’entendre.

LE BERGER.

Eh ! quel œil virginal voudrait tomber sur moi ?
Ai-je, moi, des chevreaux à donner comme toi ?
Chaque jour, par ce maître inflexible et barbare,
Mes agneaux sont comptés avec un soin avare.
Trop heureux quand il daigne à mes cris superflus
N’en pas redemander plus que je n’en reçus.
Ô juste Némésis ! si jamais je puis être
Le plus fort à mon tour, si je puis me voir maître,
Je serai dur, méchant, intraitable, sans foi,
Sanguinaire, cruel comme on l’est avec moi.

LE CHEVRIER.

Et moi, c’est vous qu’ici pour témoins j’en. appelle,
Dieux ! De mes serviteurs la cohorte fidèle
Me trouvera toujours humain, compatissant,
À leurs justes désirs facile et complaisant,