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» — Les barbares ! J’étais assis près de la poupe.
» Aveugle vagabond, dit l’insolente troupe,
» Chante ; si ton esprit n’est point comme tes yeux,
» Amuse notre ennui ; tu rendras grâce aux dieux.
» J’ai fait taire mon cœur qui voulait les confondre ;
» Ma bouche ne s’est point ouverte à leur répondre.
» Ils n’ont pas entendu ma voix, et sous ma main
» J’ai retenu le dieu courroucé dans mon sein.
» Cymé, puisque tes fils dédaignent Mnémosyne,
» Puisqu’ils ont fait outrage à la muse divine,
» Que leur vie et leur mort s’éteigne dans l’oubli ;
» Que ton nom dans la nuit demeure enseveli.

» — Viens, suis-nous à la ville ; elle est toute voisine,
» Et chérit les amis de la muse divine.
» Un siége aux cloux d’argent te place à nos festins ;
» Et là les mets choisis, le miel et les bons vins,
» Sous la colonne où pend une lyre d’ivoire,
» Te feront de tes maux oublier la mémoire.
» Et si, dans le chemin, rhapsode ingénieux,
» Tu veux nous accorder tes chants dignes des cieux,
» Nous dirons qu’Apollon, pour charmer les oreilles,
» T’a lui-même dicté de si douces merveilles.

» — Oui, je le veux ; marchons. Mais où m’entraînez-vous ?
» Enfans du vieil aveugle, en quel lieu sommes-nous ?

 » — Sicos est l’île heureuse où nous vivons, mon père.

 » — Salut, belle Sicos, deux fois hospitalière !
» Car sur ses bords heureux je suis déjà venu,
» Amis, je la connais. Vos pères m’ont connu :