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On vit de ce mélange étranger et sauvage
Naitre des langues sœurs, que le temps et l’usage,
Par des sentiers divers guidant diversement,
D’une lime insensible ont poli lentement,
Sans pouvoir en entier, malgré tous leurs prodiges,
De la rouille barbare effacer les vestiges.
De là du Castillan la pompe et la fierté,
Teint encor des couleurs du langage indompté,
Qu’au Tage transplantaient les fureurs musulmanes.
La grâce et la douceur sur les lèvres toscanes
Fixèrent leur empire ; et la Seine à la fois
De grâce et de fierté sut composer sa voix.
Mais ce langage, armé d’obstacles indociles,
Lutte et ne veut plier que sous des mains habiles.
Est-ce un mal ? Eh ! plutôt, rendon, rendons grâces aux dieux ;
Un faux éclat long-temps ne peut tromper nos yeux,
Et notre langue même à tout esprit vulgaire
De nos vers dédaigneux fermant le sanctuaire,
L’avertit dès l’abord que, s’il y veut monter,
Il faut savoir tout craindre et savoir tout tenter ;
Et, recueillant affronts ou gloire sans mélange,
S’élever jusqu’au faîte ou ramper dans la fange.