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Le désespoir ?—le fer. Ah ! lâches que nous sommes,
Tous, oui tous. Adieu, terre, adieu.
Vienne, vienne la mort ! Que la mort me délivre !
Ainsi donc, mon cœur abattu
Cède au poids de ses maux ? Non, non, puissé-je vivre !
Ma vie importe à la vertu.
Car l’honnête homme enfin, victime de l’outrage,
Dans les cachots, près du cercueil,
Relève plus altiers son front et son langage,
Brillans d’un généreux orgueil.
S’il est écrit aux cieux que jamais une épée
N’étincellera dans mes mains,
Dans l’encre et l’amertume une autre arme trempée
Peut encor servir les humains.
Justice, vérité, si ma bouche sincère,
Si mes pensers les plus secrets
Ne froncèrent jamais votre sourcil sévère ;
Et si les infâmes progrès,
Si la risée atroce, ou (plus atroce injure)
L’encens de hideux scélérats,
Ont pénétré vos cœurs d’une longue blessure,
Sauvez-moi. Conservez un bras
Qui lance votre foudre ; un amant qui vous venge.
Mourir sans vider mon carquois !
Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange
Ces bourreaux barbouilleurs de lois,
Ces tyrans effrontés de la France asservie,
Égorgée !… Ô mon cher trésor,
Ô ma plume ! Fiel, bile, horreur, dieux de ma vie !
Par vous seul je respire encor.