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AVANT que des États la base fût constante,
Avant que de pouvoir à pas mieux assurés
Des sciences, des arts monter quelques degrés,
Du temps et du besoin l’inévitable empire
Dut avoir aux humains enseigné l’art d’écrire.
D’autres arts l’ont poli ; mais aux arts, le premier,
Lui seul, des vrais succès put ouvrir le sentier.
Sur la feuille d’Égypte, ou sur la peau ductile,
Même un jour sur le dos d’un albâtre docile
Au fond des eaux formé des dépouilles du lin,
Une main éloquente, avec cet art divin,
Tient, fait voir l’invisible et rapide ; pensée,
L’abstraite intelligence et palpable et tracée ;
Peint des sons à nos yeux, et transmet à la fois
Une voix aux couleurs, des couleurs à la voix.
Quand des premiers traités la fraternelle chaîne
Commença d’approcher, d’unir la race humaine,
La terre, et de hauts monts, des fleuves, des forêts,
Des contrats attestés garants sûrs et muets,
Furent le livre auguste et les lettres sacrées
Qui faisaient lire aux yeux les promesses jurées.
Dans la suite peut-être ils voulurent sur soi
L’un de l’autre emporter la parole et la foi ;
Ils surent donc, broyant de liquides matières,
L’un sur l’autre imprimer leurs images grossières,
Ou celle du témoin, homme, plante ou rocher,
Qui vit jurer leur bouche et leurs mains se toucher.