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J’aime ; je vis. Heureux rivage !
Tu conserves sa noble image,
Son nom, qu’à tes forêts j’ose apprendre le soir ;
Quand, l’ame doucement émue,
J’y reviens méditer l’instant où je l’ai vue,
Et l’instant où je dois la voir.

Pour elle seule encore abonde
Cette source, jadis féconde,
Qui coulait de ma bouche en sons harmonieux.
Sur mes lèvres tes bosquets sombres
Forment pour elle encor ces poétiques nombres,
Langage d’amour et des dieux.

Ah ! témoin des succès du crime,
Si l’homme juste et magnanime
Pouvait ouvrir son cœur à la félicité,
Versailles, tes routes fleuries,
Ton silence, fertile en belles rêveries,
N’auraient que joie et volupté.

Mais souvent tes vallons tranquilles,
Tes sommets verts, tes frais asiles,
Tout-à-coup à mes yeux s’enveloppent de deuil..
J’y vois errer l’ombre livide
D’un peuple d’innocens, qu’un tribunal perfide
Précipite dans le cercueil.