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Pour eux, après l’amitié, c’était la plus belle chose de la terre. Racine fut l’objet de leur entretien et de leur dernière admiration. Ils voulurent réciter ses vers, pour étouffer peut-être les clameurs de cette foule qui insultait à leur courage et à leur innocence. Quel fut le morceau qu’ils choisirent ? Quand je fis cette question à un homme dont l’âge et les malheurs commencent à glacer la mémoire, il hésita à me répondre. Il me promit de rechercher ce souvenir, de s’informer près de quelques personnes à qui, autrefois, il avait pu le raconter. Je demeurai dans une pénible attente, jusqu’à ce qu’on me dît, après quelques jours, et avec l’accent d’une sorte d’indifférence qui était bien loin de moi : C’était la première scène d’Andromaque.

Ainsi, tour à tour, ils récitèrent le dialogue qui expose cette noble tragédie. Chénier, que cette idée avait frappé le premier, commença ; et peut-être un dernier sourire effleura ses lèvres, lorsqu’il prononça ces beaux vers :

Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle,
Ma fortune va prendre une face nouvelle ;
Et déjà son courroux semble s’être adouci,
Depuis qu’elle a pris soin de nous rejoindre ici.

Ces sentimens étaient dans son cœur ; l’époque où il succomba les explique. Pouvait-il regretter