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son vœu, quand tout-à-coup s’ouvrent les portes d’un cachot fermé depuis six mois, et l’on place à ses côtés sur le premier banc du char fatal, son ami, son émule, le peintre des Mois, le brillant, l’infortuné Roucher.

Que de regrets ils exprimèrent l’un sur l’autre ! « Vous, disait Chénier, le plus irréprochable de nos citoyens, un père, un époux adoré, c’est vous qu’on sacrifie ! — Vous, répliquait Roucher, vous vertueux jeune homme, on vous mène à la mort, brillant de génie et d’espérance ! — Je n’ai rien fait pour la postérité, répondit Chénier ; puis, en se frappant le front, on l’entendit ajouter : Pourtant j’avais quelque chose là ! C’était la Muse, dit l’auteur de René et d’Atala, qui lui révélait son talent au moment de la mort. Il est remarquable que h France perdit sur la fin du dernier siècle trois beaux talens à leur aurore : Malfilâtre, Gilbert et André Chénier. Les deux premiers ont péri de misère, le troisième sur un échafaud. »

Cependant le char s’avançait. Et à travers les flots de ce peuple, que son malheur rendait farouche, leurs yeux rencontrèrent ceux d’un ami qui accompagna toute leur marche funèbre, comme pour leur rendre un dernier devoir ; et qui raconta souvent au malheureux père, qui ne survécut que dix mois à la perte de son fils, les tristes détails de leur fin.

Ils parlèrent de poésie à leurs derniers momens.