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Souvent des vieux auteurs j’envahis les richesses.
Plus souvent leurs écrits, aiguillons généreux,
M’embrasent de leur flamme et je crée avec eux.
Un juge sourcilleux, épiant mes ouvrages,
Tout-à-coup à grands cris dénonce vingt passages
Traduits de tel auteur qu’il nomme ; et les trouvant,
Il s’admire et se plaît de se voir si savant.
Que ne vient-il vers moi ? je lui ferai connaître
Mille de mes larcins qu’il ignore peut-être.
Mon doigt sur mon manteau lui dévoilé à l’instant
La couture invisible et qui va serpentant,
Pour joindre à mon étoffe une pourpre étrangère.
Je lui montrerai l’art, ignoré du vulgaire,
De séparer aux yeux, en suivant leur lien,
Tous ces métaux unis dont j’ai formé le mien.
Tout ce que des Anglais la muse inculte et brave,
Tout Ce que des Toscans, la voix fière et suave,
Tout Ce que les Romains, ces rois de l’univers,
M’offraient d’or et de soie est passé dans mes vers.
Je m’abreuve surtout des flots que le Permesse
Plus féconds et plus purs fit couler dans la Grèce ;
Là, Prométhée ardent, je dérobe les feux
Dont j’anime l’argile et dont je fais des dieux.
Tantôt chez un auteur j’adopte une pensée,
Mais qui revêt, chez moi souvent entrelacée,
Mes images, mes tours, jeune et frais ornement ;
Tantôt je ne retiens que les mots seulement ;
J’en détourne le sens, et l’art sait les contraindre
Vers des objets nouveaux qu’ils s’étonnent de peindre.
La prose plus souvent vient subir d’autres lois,