Page:Chénier - Œuvres complètes, éd. Latouche, 1819.djvu/211

Cette page n’a pas encore été corrigée

Et goûté dans un camp leurs paisibles douceurs ?
Son camp fut leur séjour ; son palais fut leur temple.

Imite ces héros ; suis leur auguste exemple.
Laisse un oisif amas de braves destructeurs,
De l’antique ignorance orgueilleux protecteurs,
Ériger en vertu leur stupide manie,
Dégrader l’art des vers et siffler le génie :
Le langage des dieux n’est point fait pour les sots.
L’art qui rend immortel ne plaît qu’à des héros.

Insensés ! que du moins vos fureurs indiscrètes
Sachent des vils rimeurs distinguer les poëtes !
À ces fils d’Apollon, ingrats ! n’en doutez plus,
Vous devez des plaisirs, des arts et des vertus.
Et sans ressusciter les Merveilles antiques,
Les chênes de Dodone et leurs vers prophétiques,
Et la lyre d’Orphée assemblant l’homme épars,
Et la voix d’Amphion lui créant des remparts ;
Quel autre qu’un poëte, en ses vives images,
Sut rendre à la vertu de célestes hommages,
La placer dans l’Olympe, et, sur les sombres bords,
Des supplices du crime épouvanter les morts
Les cieux à nos accens s’ouvrirent pour Alcide ;
Et l’Érèbe engloutit la pâle Danaïdes.
Un monde juste est né des vers législateurs,
Et l’homme dut une ame à leurs sons créateurs.

Avant que la parole à nos yeux fût tracée,
Et qu’un papier muet fit parler la pensée,