Page:Chénier - Œuvres complètes, éd. Latouche, 1819.djvu/199

Cette page n’a pas encore été corrigée


Soit que le jeune amant raconte son ennui
À quelque ami jadis agité comme lui ;
Soit que seul dans les bois, ses éloquentes peines
Ne s’adressent qu’aux vents, aux rochers, aux fontaines.


(Londres, décembre 1782.)


Sans parens, sans amis, et sans concitoyens,
Oublié sur la terre, et loin de tous les miens,
Par les vagues jeté sur cette île farouche,
Le doux nom de la France est souvent sur ma bouche.
Auprès d’un noir foyer, seul, je me plains du sort.
Je compte les momens, je souhaite la mort.
Et pas un seul ami dont la voix n’encourage ;
Qui près de moi s’asseye, et voyant mon visage
Se baigner de mes pleurs et tomber sur mon sein,
lie dise : « Qu’as-tu donc ?  » et me presse la main.


La grâce, les talens, ni l’amour le plus tendre
D’un douloureux affront ne peuvent nous défendre.
Encore si vos yeux daignaient, pour nous trahir,
Chercher dans vos amans celui qu’on peut choisir ;
Qu’une belle ose aimer sans honte et sans scrupule
Et qu’on ose soi-même avouer pour émule !
Mais dieux ! combien de fois notre orgueil ulcéré
À rougi du rival qui nous fut préféré !