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De vous comme eux encor je pourrai me passer.
Mais quoi ! je vous jurai d’éternelles tendresses !
Et quand vous m’ayez fait, vous, les mêmes promesses,
Était-ce rien qu’un piége ? Il n’a point réussi,
J’ai fait comme vous-même, ah ! l’an vous trompe aussi ;
Vous, dans l’art de tromper maîtresse sans émule.
Vous avez donc pensé, perfide trop crédule,
Qu’un amant, par vous-même instruit au Changement
N’oserait, comme vous, abusés d’un serment ?
En moi c’était vengeance ; à vous ce fut un crime.
À tort un agresseur dispute à sa victime
Des armes dont son bras s’est sèrvi le premier ;
Le fer a droit d’ouvrir le flanc du meurtrier.
Trahir qui nous trahit est juste autant qu’utile,
Et l’inventeur cruel du taureau de Sicile
Lui-même à l’essayer justement condamné,
À fait mugir l’airain qu’il avait façonné.

Maintenant, poursuivez : il suffit qu’on vous voie,
Vos filets aisément feront une autre proie ;
Je m’en fie à votre art moins qu’à votre beauté.
Toutefois, songez-y, fuyez la vanité.
Vous me devez un peu cette beauté nouvelle„
Vos attraits sont à moi : c’est moi qui vous fis belle,
Soit orgueil, indulgence ; ou captieux détour,
Soit que mon cœur gagné par vos semblans d’amour,
D’un peu d’aveuglement n’ait point su se défendre,
(Car mon cœur est si bon et ma muse est si tendre !)
Je vins à vos genoux, en soupirs caressans,
D’un vers adulateur vous prodiguer l’encens ;