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ÉLÉGIE XXXVIII.


JE suis né pour l’amour, j’ai connu ses travaux,
Mais, certes, sans mesure il m’accable de maux
À porter ce revers mon ame est impuissante.
Eh quoi ! beauté divine, incomparable amante,
Je vous perds ! Quoi, par vous nos liens sont rompus,
Vous le voulez ; adieu, vous ne me verrez plus :
Du besoin de tromper ma fuite vous délivre.
Je vais loin de vos yeux pleurer au lieu de vivre,
Mais vous fûtes toujours l’arbitre de mon sort ;
Déjà vous prévoyez, vous annoncez ma mort.
Oui, sans mourir, hélas ! on ne perd point vos charmes,
Ah ! que n’êtes-vous là pour voir couler mes larmes !
Pour connaître mon cœur, vos fers, vos cruautés,
Tout l’amour qui m’embrâse et que vous méritez.
Pourtant que faut-il faire ? on dit (dois-je le croire)
Qu’aisément de vos traits on bannit la mémoire ;
Que jusqu’ici vos bras inconstans et légers
Ont reçu mille amans comme moi passagers ;
Que l’ennui de vous perdre où mon ame succombe,
N’a d’aucun malheureux accéléré la tombe.
Comme eux j’ai pu vous plaire, et comme eux vous lasser ;