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ÉLÉGIE XXXV.


Hier, en te quittant, enivré de tes charmes,
Belle Daphné, vers moi, tenant en main des armes,
Une troupe d’enfans courut de toutes parts.
Ils portaient des flambeaux, des chaînes et des dards.
Leurs dards m’ont pénétré jusques au fond de l’ame,
Leurs flambeaux sur mon sein ont secoué la flamme,
Leurs chaînes m’ont saisi. D’une cruelle voix :
« Aimeras-tu Daphné ?  » criaient-ils à la fois,
« L’aimeras-tu toujours ? » Troupe auguste et suprême,
Ah ! vous le savez trop, dieux enfans, si je l’aime.
Mais qu’avez-vous besoin de chaînes et de traits ?
Je n’ai point voulu fuir. Pourquoi tous ces apprèts ?
Sa beauté pouvait tout ; mon âme sans défense
N’a point contre ses yeux cherché de résistance.
Oui, je brûle ; ô Daphné ! laisse-moi du repos.
Je brûle ; ô de mon cœur éloigne ces flambeaux :
Ah ! plutôt que souffrir ces douleurs insensées,
Combien j’aimerais mieux sur des Alpes glacées
Être une pierre aride, ou dans le sein des mers
Un roc battu des vents, battu des flots amers !
Ô terre ! ô mer ! je brûle. Un poison moins rapide