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Nulle raison de crainte, et loin de s’alarmer,
Confiant, il se livre aux délices d’aimer.
Ô de Pange ! ami sage, est bien fou qui s’ennuie.
Si les destins deux fois nous permettaient la vie,
L’une pour les travaux et les soins vigilans,
L’autre pour les amours, les plaisirs nonchalans,
On irait d’une vie âpre et laborieuse
Vers l’autre vie au moins pure et voluptueuse.
Mais si nous ne vivons, ne mourons qu’une fois,
Eh ! pourquoi malheureux sous de bizarres lois,
Tourmenter cette vie et la perdre sans cesse ?
Haletans vers le gain, les honneurs, la richesse ;
Oubliant que le sort immuable en son cours,
Nous fit des jours mortels, et combien peu de jours !
Sans les dons de Vénus quelle serait la vie ?
Des l’instant où Vénus me doit être ravie,
Que je meure. Sans elle ici-bas rien n’est doux.
....................
Humains, nous ressemblons aux feuilles d’un ombrage
Dont au faîte des cieux le soleil remonté,
Rafraîchit dans nos bois les chaleurs de l’été,
Mais l’hiver, accourant d’un vol sombre et rapide,
Nous sèche, nous flétrit ; et son souffle homicide
Secoue et fait voler, dispersés dans les vents,
Tous ces feuillages morts qui font place aux vivans.
La Parque sur nos pas fait courir devant elle
Midi, le soir, la nuit, et la nuit éternelle ;
Et par grâce, à nos yeux qu’attend le long sommeil,
Laisse voir au matin un regard du soleil.
Quand cette heure s’enfuit, de nos regrets suivie,