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J’ai vu qu’à ses faveurs ta part est la plus belle ;
Et pourtant je me plais à lui rester fidèle ;
À voir mon vers au rire, aux pleurs abandonné,
De rose ou de cyprès par elle couronné.
Par la lyre attendris, les rochers du Riphée
Se pressaient, nous dit-on, sur les traces d’Orphée.
Des murs fils de la lyre ont gardé les Thébains ;
Arion à la lyre a dû de longs destins :
Je lui dois des plaisirs. J’ai vu plus d’une belle,
À mes accens émue, accuser l’infidèle
Qui me faisait pleurer et dont j’étais trahi ;
Et souhaiter l’amour de qui le sent ainsi.
Mais dieux, que de plaisir ! quand muette, immobile,
Mes chants font soupirer ma naïve Camille ;
Quand mon vers, tour à tour humble, doux, outrageant,
Éveille sur sa bouche un sourire indulgent ;
Quand ma voix altérée enflammant son visage,
Son baiser vole et vient l’arrêter au passage.
Ô ! je ne quitte pins ces bosquets enchanteurs
Où rêva mon Tibulle aux soupirs séducteurs ; —
Où le feuillage encor dit Corinne charmante ;
Où Cinthie est écrite en l’écorce odorante ;
Où les sentiers français ne me conduisaient pas ;
Où mes pas de Le Brun ont rencontré les pas.

Ainsi, que mes écrits enfans de ma jeunesse,
Soient un code d’amour, de plaisir, de tendresse ;
Que partout de Vénus ils dispersent les traits ;
Que ma voix, que mon aine y vivent à jamais ;
Qu’une jeune beauté, sur la plume et la soie,