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Ne pouvait songer… Mais, que nous font ses ennuis ?
Jeune homme, apporte-nous d’autres fleurs et des fruits.
Qu’est-ce, amis ? nos éclats, nos jeux se ralentissent ?
Que des verres plus grands dans nos mains se remplissent.
Pourquoi vois-je languir ces vins abandonnés,
Sous le liége tenace encor emprisonnés ?
Voyons si ce premier, fils de l’Andalousie,
Vaudra ceux dont Madère a formé l’ambroisie,
Ou ceux dont la Garonne enrichit ses côteaux,
Ou la vigne foulée aux pressoirs de Citeaux ?
Non, rien n’est plus heureux que le mortel tranquille,
Qui cher à ses amis, à l’amour indocile,
Parmi les entretiens, les jeux et les banquets,
Laisse couler la vie et n’y pense jamais.

Ah ! qu’un front et qu’une ame, à la tristesse en proie,
Feignent mal aisément et le rire et la joie.
Je ne sais, mais partout je l’entends, je la voi ;
Son fantôme attrayant est partout devant moi ;
Son nom, sa voix absente erre dans mon oreille.
Peut-être aux feux du vin que l’amour se réveille :
Sons les bosquets de Chypre, à Vénus consacrés,
Bacchus mi rit l’azur de ses pampres dorés.
J’ai peur que pour tromper ma haine et ma vengeance,
Tous ces dieux malfaisans ne soient d’intelligence.
Du, moins il m’en souvient, quand autrefois auprès
De cette ingrate aimée, en nos festins secrets,
Je portais à la hâte à ma bouche ravie
La coupe demi-pleine à ses lèvres saisie,
Ce nectar, de l’amour ministre insidieux,