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Avec d’autres couleurs cherchent d’autres succès.
Ma toile avec Sapho s’attendrit et soupire.
Elle rit et s’égaie aux danses du satyre.
Ou l’aveugle Ossian y vient pleurer ses yeux,
Et pense voir et voit ses antiques ayeux
Qui, dans l’air appelés à ses hymnes sauvages,
Arrêtent près de lui leurs palais de nuages.
Beaux arts, ô de la vie, aimables enchanteurs,
Des plus sombres ennuis rians consolateurs,
Amis sûrs dans la peine et constantes maîtresses
Dont l’or n’achète point l’amour ni les caresses.
Beaux arts, dieux bienfaisans, vous que vos favoris
Par un indigne usage ont tant de fois flétris,
Je n’ai point partagé leur honte trop commune.
Sur le front des époux de l’aveugle fortune
Je n’ai point fait ramper vos lauriers trop jaloux.
J’ai respecté les dons que j’ai reçus de vous.
Je ne vais point, à prix de mensonges serviles,
Vous marchander au loin des récompenses viles ;
Et partout, de mes vers ambitieux lecteur,
Faire trouver charmant mon luth adulateur.
Abel, mon jeune Abel, et Trudaine et son frère,
Ces vieilles amitiés de l’enfance première,
Quand tous quatre muets, sous un maître inhumain,
Jadis au châtiment nous présentions la main ;
Et mon frère et Lebrun, les Muses elles-mêmes ;
De Pange, fugitif de ces neuf sœurs qu’il aime ;
Voilà le cercle entier qui, le soir quelquefois,
À des vers, non sans peine obtenus de ma voix,
Prête une oreille amie et cependant sévère.