Page:Chénier - Œuvres complètes, éd. Latouche, 1819.djvu/134

Cette page n’a pas encore été corrigée

Avez-vous pu trouver un passe-temps si doux
À déchirer un cœur qui n’adorait que vous ?
Amis, pardonnez-lui ; que jamais vos injures
N’osent lui reprocher ma mort et ses parjures ;
Je ne veux point pour moi que son cœur soit blessé,
Ni que pour l’outrager mon nom soit prononcé.
Ces amis m’étaient chers ; ils aimaient ma présence.
Je ne veux qu’être seul, je les fuis, les offense,
Ou bien, en me voyant, chacun avec effroi
Balance à me connaître et doute si c’est moi.

Est-ce là cet ami, compagnon de leur joie,
À de jeunes désirs comme eux toujours en proie,
Jeune amant des festins, des vers, de la beauté ?
Ce front pâle et mourant, d’ennuis inquiété,
Est celui d’un vieillard appesanti par l’âge,
Et qui déjà d’un pied touche au fatal rivage.
Sans doute, Lycoris, oui, j’ai fini mon sort
Quand tu ne n’aimes plus et souhaites ma mort.
Amis, oui, j’ai vécu ; ma course est terminée.
Chaque heure m’est un jour, chaque jour une année.
Les amans malheureux vieillissent en un jour,
Ah ! n’éprouvez jamais les douleurs de l’amour :
Elles hâtent encor nos fuseaux si rapides,
Et non moins que le Temps la Tristesse a des rides.
Quoi, Gallus ! quoi le sort, si près de ton berceau,
Ouvre à tes jeunes pas ce rapide tombeau ?
Hélas ! mais quand j’aurai subi ma destinée,
Du Léthé bienfaisant la rive fortunée
Me prépare un asile et des ombrages verts :