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Ecoute ; et croit souvent reconnaître vos pas ;
Je m’élance, je cours, et vous ne venez pas !

Ah ! vous accuserez votre absence infidelle,
Quand vous saurez qu’ainsi je souffre et vous appelle.
Que je plains un méchant ! Sans doute avec effroi
Il porte à tout moment les yeux autour de soi ;
Il n’y voit qu’un désert ; tout fuit, tout se retire.
Son œil ne vit jamais de bouche lui sourire ;
Jamais, dans les revers qu’il ose déclarer,
De doux regards sur lui s’attendrir et pleurer.
Ô de se confier noble et douce habitude !
Non mon cœur n’est point né pour vivre en solitude :
Il me faut qui m’estime, il me faut des amis
À qui dans mes secrets tout accès soit permis ;
Dont les yeux, dont la main dans la mienne pressée,
Réponde à mon silence, et sente ma pensée.
Ah ! si pour moi jamais tout cœur était fermé,
Si nul ne songe à moi, si je ne suis aimé,
Vivre importun, proscrit, flatte peu mon envie.
Et quels sont ses plaisirs, que fait-il de la vie
Le malheureux qui, seul, exclus de tout lien,
Ne connaît pas un cœur on reposer le sien ;
Une ame on dans ses maux comme en un saint asile,
Il puisse fuir la sienne et se rasseoir tranquille ;
Pour qui nul n’a de vœux, qui jamais dans ses pleurs
Ne peut se dire : « Allons, je sais que mes douleurs
» Tourmentent mes amis, et quoiqu’en mon absence,
» Ils accusent mon sort et prennent ma défense.