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Il n’était plus Timothée des Lourdines, il n’avait plus d’âge ; dans sa chair circulait la sève des châtaigniers et des hêtres ; et son esprit, détaché de sa propre pensée, libre, immense, épousait toutes les formes, tous les murmures de la forêt.

Il les connaissait si bien, tous ces arbres, depuis trente-huit ans qu’il vivait, au milieu d’eux ! Le souvenir des premières joies qu’il leur devait le reportait à l’époque où, élargi enfin du lugubre collège de Poitiers dont son père, vieil émigré fantasque et aigri, lui avait fait une prison jusqu’à ses vingt ans, il était rentré orphelin au Petit-Fougeray, timide, un peu farouche, ignorant et gauche dans ses rapports avec les hommes. Était-ce le fruit de son éducation ? Jamais, depuis, il n’avait su reconquérir ses aises dans ce qu’on appelle le monde. Il le craignait même et, le craignant, il ne l’aimait pas. C’est alors que, ses relations réduites au strict indispensable, il avait eu des arbres pour amis. Il leur devait des minutes divines. Les harmonies délicates et tendres qu’il percevait d’eux différaient tellement du vain bruit des salons ! Ici, parfois,