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ne le laissait ni remuer ni souffler. Don Quichotte lui criait d’une voix étouffée : « Comment, traître, tu te révoltes contre ton maître et seigneur naturel ! tu t’attaques à celui qui te donne son pain ! — Je ne fais ni ne défais de roi, répondit Sancho, mais je m’aide moi-même, moi qui suis mon seigneur[1]. Que votre grâce me promette de rester tranquille et qu’il ne sera pas question de me fouetter maintenant ; alors je vous lâche et vous laisse aller ; sinon, tu mourras ici, traître, ennemi de Doña Sancha[2]. »

  1. Ces paroles sont celles que la tradition place dans la bouche du connétable Du Guesclin, lorsque, pendant la lutte de Pierre-le-Cruel et de son frère Henri de Transtamar, dans la plaine de Montiel, il aida celui-ci à monter sur le corps de Pierre, qu’Henri perça de sa dague.
  2. Sancho applique à son maître les deux derniers vers d’un ancien romance, composé sur la tradition des sept infants de Lara (Canc. de Amberes, p. 172). Gonzalo Gustos de Lara avait épousé Doña Sancha, sœur de Ruy-Velazquez. Ce dernier, pour venger une offense, livra au roi more de Cordoue son beau-frère et ses sept neveux. Le père fut jeté dans une prison perpétuelle après qu’on lui eut servi sur une table les têtes de ses sept enfants. Cependant l’amour d’une femme arabe, sœur du roi, le tira de prison, et le fils qu’il eut d’elle, appelé Mudarra Gonzalo, vengea le sang de ses frères dans celui de Ruy-Velazquez. L’ayant rencontré un jour à la chasse, il l’attaqua, et, bien que l’autre lui demandât le temps d’aller chercher ses armes, il le tua après avoir répondu les vers que cite Sancho :

    Esperesme, Don Gonzalo,
    Iré a tomar las mis armas —
    — El espera que tu diste
    A los infantes de Lara :
    Aqui moriras, traidor,
    Enemigo de Doña Sancha.