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tres, car enfin, celle qui a un mari gouverneur peut bien se donner un carrosse et en faire la dépense. — Comment donc, mère ! s’écria Sanchica. Plût à Dieu que ce fût aujourd’hui plutôt que demain, quand même on dirait en me voyant assise dans ce carrosse, à côté de madame ma mère : « Tiens ! voyez donc cette péronnelle, cette fille de mangeur d’ail, comme elle s’étale dans son carrosse, tout de même que si c’était une papesse ! » Mais ça m’est égal ; qu’ils pataugent dans la boue, et que j’aille en mon carrosse les pieds levés de terre. Maudites soient dans cette vie et dans l’autre autant de mauvaises langues qu’il y en a dans le monde ; pourvu que j’aille pieds chauds, je laisse rire les badauds. Est-ce que je dis bien, ma mère ? — Comment, si tu dis bien, ma fille ! répondit Thérèse. Tous ces bonheurs et de plus grands encore, mon bon Sancho me les a prophétisés ; et tu verras, fille, qu’il ne s’arrêtera pas avant de me faire comtesse. Tout est de commencer à ce que le bonheur nous vienne ; et j’ai ouï dire bien des fois à ton père, qui est aussi bien celui des proverbes que le tien : Quand on te donnera la génisse, mets-lui la corde au cou ; quand on te donnera un gouvernement, prends-le ; un comté, attrape-le ; et quand on te dira tiens, tiens, avec un beau cadeau, saute dessus. Sinon, endormez-vous, et ne répondez pas aux bonheurs et aux bonnes fortunes