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sements qu’il est ravi d’avoir sur le dos la charge de vaillance et de beauté qu’il porte en son maître et en sa maîtresse. Voyez comment ils tournent bride pour s’éloigner de la ville, et avec quelle joie empressée ils prennent la route de Paris. Allez en paix, ô paire sans pair de véritables amants ! arrivez sains et saufs dans votre patrie bien-aimée, sans que la fortune mette aucun obstacle à votre heureux voyage ! Que les yeux de vos amis et de vos parents vous voient jouir, dans la paix du bonheur, des jours, longs comme ceux de Nestor, qui vous restent à vivre ! » En cet endroit, maître Pierre éleva de nouveau la voix : « Terre à terre, mon garçon, dit-il, ne te perds pas dans les nues, toute affectation est vicieuse. » L’interprète continua sans rien répondre : « Il ne manqua pas d’yeux oisifs, car il y en a pour tout voir, qui virent la descente et la montée de Mélisandre, et qui en donnèrent connaissance au roi Marsilio, lequel ordonna sur-le-champ de battre la générale. Voyez avec quel empressement on obéit, et comment toute la ville semble s’écrouler sous le bruit des cloches qui sonnent dans toutes les tours des mosquées. — Oh ! pour cela non, s’écria Don Quichotte ; quant aux cloches, maître Pierre se trompe lourdement, car, chez les Mores, on ne fait pas usage de cloches, mais de timbales, et d’une espèce de dulzaïna qui ressemble beaucoup à nos clairons[1]. Faire sonner les cloches à Sansueña, c’est à coup

  1. La dulzaïna, dont on fait encore usage dans le pays de Valence, est un instrument recourbé, d’un son très-aigu. La chirimia (que je traduis par clairon), autre instrument d’origine arabe, est une espèce de long hautbois, à douze trous, d’un son grave et retentissant.