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toutes choses, sauf quant à la dague, parce qu’il ne s’était servi d’aucune dague, ni petite ni grande, mais d’un poignard fourbi, plus aigu qu’une alène. — Le poignard, interrompit Sancho, devait être de Ramon de Hocès, l’armurier de Séville. — Je ne sais trop, reprit Don Quichotte ; mais non, ce ne pouvait être ce fourbisseur, puisque Ramon de Hocès vivait hier, et que le combat de Roncevaux, où arriva cette catastrophe, compte déjà bien des années. Au reste, cette vérification est de nulle importance et n’altère en rien la vérité ni l’enchaînement de l’histoire. — Non certes, ajouta le cousin ; et continuez-la, seigneur Don Quichotte, car je vous écoute avec le plus grand plaisir du monde. — Je n’en ai pas moins à la raconter, répondit Don Quichotte. Je dis donc que le vénérable Montésinos me conduisit au palais de cristal, où, dans une salle basse, d’une extrême fraîcheur et toute bâtie d’albâtre, se trouvait un sépulcre de marbre sculpté avec un art merveilleux. Sur ce sépulcre, je vis un chevalier étendu tout de son long, non de bronze, ni de marbre, ni de jaspe, comme on a coutume de les faire sur d’autres mausolées, mais bien de chair et d’os. Il avait la main droite (qui me sembla nerveuse et quelque peu velue, ce qui est signe de grande force) posée sur le côté du cœur, et, avant que je fisse aucune question, Montésinos, me voyant regarder avec étonnement ce sépulcre : « Voilà, me dit-il, mon ami Durandart, fleur et miroir des chevaliers braves et amoureux de son temps. C’est Merlin, cet enchanteur français[1] qui fut, dit-on, fils du diable, qui

  1. Ce Merlin, le père de la magie chevaleresque, n’était pas de la Gaule, mais du pays de Galles ; son histoire doit se rattacher plutôt à celle du roi Artus et des paladins de la Table-Ronde, qu’à celle de Charlemagne et des douze pairs.