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du monde ! » Quand Don Quichotte entendit cela : « On voit bien, se dit-il tout bas, que ces gens n’ont pas vu ma Dulcinée du Toboso ; s’ils l’eussent vue, ils retiendraient un peu la bride aux louanges de cette Quitéria. » Un moment après, on vit entrer en divers endroits de la ramée plusieurs chœurs de danses de différentes espèces, entre autres une troupe de danseurs à l’épée, composée de vingt-quatre jeunes gens de bonne mine, tous vêtus de fine toile blanche, et portant sur la tête des mouchoirs en soie de diverses couleurs. Ils étaient conduits par un jeune homme agile, auquel l’un des laboureurs de la troupe des juments demanda si quelques-uns des danseurs s’étaient blessés. « Aucun jusqu’à présent, béni soit Dieu ! répondit le chef. Nous sommes tous bien portants. » Aussitôt il commença à former une mêlée avec ses compagnons, faisant tant d’évolutions, et avec tant d’adresse, que Don Quichotte, tout habitué qu’il fût à ces sortes de danses, avoua qu’il n’en avait jamais vu de mieux exécutée que celle-là.

Il ne fut pas moins ravi d’un autre chœur de danse qui entra bientôt après. C’était une troupe de jeunes filles choisies pour leur beauté, si bien du même âge qu’aucune ne semblait avoir moins de quatorze ans, ni aucune plus de dix-huit. Elles étaient toutes vêtues de léger drap vert, avec les cheveux moitié tressés, moitié flottants, mais si blonds tous qu’ils auraient pu le disputer à ceux du soleil ; et, sur la chevelure, elles portaient des guirlandes formées de jasmins, de roses, d’amarantes et de