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CHAPITRE XIII.

Où se poursuit l’aventure du chevalier du Bocage, avec le piquant, suave et nouveau dialogue qu’eurent ensemble les deux écuyers.



S’étant séparés ainsi, d’un côté étaient les chevaliers, de l’autre les écuyers ; ceux-ci se racontant leurs vies, ceux-là leurs amours. Mais l’histoire rapporte d’abord la conversation des valets, et passe ensuite à celle des maîtres. Suivant elle, quand les écuyers se furent éloignés un peu, celui du Bocage dit à Sancho : « C’est une rude et pénible vie que nous menons, mon bon seigneur, nous qui sommes écuyers de chevaliers errants. On peut en toute vérité nous appliquer l’une des malédictions dont Dieu frappa nos premiers parents, et dire que nous mangeons le pain à la sueur de nos fronts[1]. — On peut bien dire aussi, ajouta Sancho, que nous le mangeons à la gelée de nos corps, car qui souffre plus du froid et du chaud que les misérables écuyers de la chevalerie errante ? Encore, n’y aurait-il pas grand mal si nous mangions, puisque, suivant le proverbe, avec du pain tous les maux sont vains. Mais quelquefois il

  1. In sudore vultus tui vesceris pane. (Genes., cap. 3.)