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avec un soin religieux les particularités d’une existence glorieuse. Il a fallu tous les efforts d’une admiration posthume, bien lente à s’éveiller, pour reconstruire laborieusement, à l’aide de la tradition non moins que des documents authentiques, et de la conjecture autant que de la certitude, l’édifice incomplet d’une vie longue et remplie. Bien des lacunes restent à combler, bien des doutes à éclaircir ; mais ce qu’on sait comme avéré et ce qu’on suppose comme probable suffit maintenant pour nous apprendre quelle fut la destinée de l’un des grands génies dont s’honore l’humanité.

On n’a pu découvrir encore où est le tombeau de Cervantès, et longtemps on ignora où fut son berceau. Huit villes se sont disputé l’honneur de l’avoir vu naître, Madrid, Séville, Tolède, Lucena, Esquivias, Alcazar de San-Juan, Consuegra et Alcala de Henarès. C’est dans cette dernière qu’il naquit ; il y fut baptisé, à l’église paroissiale de Sainte-Marie-Majeure, le 9 octobre 1547. Sa famille, originaire de Galice, puis établie dans la Castille, sans appartenir à la noblesse titrée, comptait du moins parmi les familles de gentilshommes qu’on appelait fils de quelque chose (hijos de algo, ou hidalgos). Dès le treizième siècle, le nom de Cervantès était honorablement cité dans les annales espagnoles. Il y avait eu des guerriers de ce nom lors des grandes conquêtes de saint Ferdinand, à la prise de Baeza et à celle de Séville. Ils eurent part aux distributions de territoire qui se firent à cette époque, lorsqu’on repeuplait de chrétiens les champs abandonnés par les Mores. D’autres Cervantès se trouvèrent parmi les conquérants du Nouveau-Monde, et portèrent dans ces contrées lointaines une branche de la souche principale. Dans les premières années du seizième siècle, Juan de Cervantès était corrégidor d’Osuna. Son fils, Rodrigo de Cervantès, épousa, vers 1540, Doña Léonor de Cortinas, dame noble, du bourg de Barajas. De cette union naquirent d’abord deux filles, Doña Andrea et Doña Luisa, puis deux fils, Rodrigo et Miguel. Celui-ci était le plus jeune enfant de cette famille, pauvre autant qu’honorable.

On a peu de détails sur la jeunesse de Cervantès. Il est probable qu’étant né dans une ville d’université, où venaient étudier les jeunes gens de Madrid, qui n’en est distant que de quatre lieues, il y fit ses premières études. Ce qu’on sait de lui, et par lui-même, c’est qu’il avait dès sa plus tendre enfance un grand goût pour les lettres, et qu’il aimait la lecture au point de ramasser dans la rue des bribes de papier déchiré. Son inclination pour la poésie et pour le théâtre se déclara devant les tréteaux du fameux Lope de Rueda, ce comédien ambulant, fondateur du théâtre espagnol, qu’il vit jouer, avant l’âge de onze ans, à Ségovie et à Madrid.

Le jeune Miguel, ayant atteint l’adolescence, partit pour Salamanque, où il passa deux années, immatriculé parmi les étudiants de cette université célèbre. On sait qu’il demeurait dans la rue de los Moros. Ce fut là qu’il apprit à connaître ces mœurs des étudiants, qu’il a si bien peintes en quelques endroits