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autre, de manière qu’ils parussent à Don Quichotte d’autres gens que ceux qu’il avait vus dans ce château. Cela fait, ils entrèrent en grand silence dans la chambre où il était couché, se reposant des alertes passées. Ils s’approchèrent du pauvre chevalier, qui dormait paisiblement, sans méfiance d’une telle aventure, et, le saisissant tous ensemble, ils lui lièrent si bien les mains et les pieds, que, lorsqu’il s’éveilla en sursaut, il ne put ni remuer, ni faire autre chose que de s’étonner et de s’extasier en voyant devant lui de si étranges figures. Il tomba sur-le-champ dans la croyance que son extravagante imagination lui rappelait sans cesse ; il se persuada que tous ces personnages étaient des fantômes de ce château enchanté,

et que, sans nul doute, il était enchanté lui-même, puisqu’il ne pouvait ni bouger, ni se défendre. C’était justement ainsi que le curé, inventeur de la ruse et de la machination, avait pensé que la chose arriverait.

De tous les assistants, le seul Sancho avait conservé son même bon sens et sa même figure ; et, quoiqu’il s’en fallût de fort peu qu’il ne partageât la maladie de son maître, il ne laissa pourtant pas de reconnaître qui étaient tous ces personnages contrefaits. Mais il n’osa pas découdre les lèvres avant d’avoir vu comment se termineraient cet assaut et cette arrestation de son seigneur, lequel n’avait pas plus envie de dire mot, dans l’attente du résultat qu’aurait sa disgrâce. Ce résultat fut qu’on apporta la cage auprès de son lit, qu’on l’enferma dedans, et qu’on cloua les madriers si solidement qu’il aurait fallu plus de deux secousses pour