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moi ce qui m’appartient, qu’elle vive, tranquille et contente, de longues années avec son Cardénio ; moi, je prierai le ciel à genoux qu’il m’en laisse vivre autant avec ma Dorothée. » En disant ces mots, il la serra de nouveau dans ses bras, et joignit son visage au sien, avec un si tendre transport qu’il lui fallut se faire violence pour que les larmes ne vinssent pas aussi donner leur témoignage de son amour et de son repentir. Luscinde et Cardénio ne retinrent point les leurs, non plus que ceux qui se trouvaient présents, et tout le monde se mit si bien à pleurer, les uns de leur propre joie, les autres de la joie d’autrui, qu’on aurait dit que quelque grave et subit accident les avait tous frappés. Sancho lui-même fondait en larmes, mais il avoua depuis qu’il n’avait pleuré que parce que Dorothée n’était pas, comme il l’avait cru, la reine Micomicona, de laquelle il attendait tant de faveurs.

Pendant quelque temps, les pleurs durèrent, ainsi que la surprise et l’admiration. Enfin Luscinde et Cardénio allèrent se jeter aux genoux de