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marierait pas dès qu’il aurait ouvert le gosier au seigneur Pend-au-fil-en-dos. La reine est peut-être un laidron, hein ! Que toutes les puces de mon lit ne sont-elles ainsi faites ! » En disant cela, il fit en l’air deux gambades, se frappant le derrière du talon, avec tous les signes d’une grande joie ; puis, il s’en fut prendre par la bride la mule de Dorothée, la fit arrêter, et, se mettant à genoux devant la princesse, il la supplia de lui donner ses mains à baiser, en signe qu’il la prenait pour sa reine et maîtresse.

Qui, des assistants, aurait pu s’empêcher de rire, en voyant la folie du maître et la simplicité du valet ? Dorothée, en effet, présenta sa main à Sancho, et lui promit de le faire grand seigneur dans son royaume, dès que le ciel lui aurait accordé la grâce d’en recouvrer la paisible possession. Sancho lui offrit ses remerciements en termes tels qu’il fit éclater de nouveaux rires. « Voilà, seigneurs, poursuivit Dorothée, ma fidèle histoire. Je n’ai plus rien à vous dire, si ce n’est que de tous les gens venus de mon royaume à ma suite, il ne me reste que ce bon écuyer barbu : tous les autres se sont noyés dans une grande tempête que nous essuyâmes en vue du port. Lui et moi, nous arrivâmes à terre sur deux planches, et comme par miracle, car tout est miracle et mystère dans le cours de ma vie, ainsi que vous l’aurez observé. Si j’ai dit des choses superflues, si je n’ai pas toujours rencontré aussi juste que je le devais, il faut vous en prendre à ce qu’a dit le seigneur licencié au commencement de mon récit, que les peines extraordinaires et continuelles ôtent la