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je pourrai m’acheter quelque titre ou quelque office qui me fera vivre sans souci tout le reste de ma vie et de mes jours. C’est cela ; croyez-vous donc qu’on dorme des deux yeux, et qu’on n’ait ni talent, ni esprit pour tirer parti des choses, et pour vendre une trentaine de mille esclaves comme on brûle un fagot de paille ! Ah ! pardieu, petit ou grand, je saurai bien en venir à bout, et les rendre blancs ou jaunes dans ma poche, fussent-ils noirs comme l’âme du diable. Venez, venez, et vous verrez si je suce mon pouce. » Plein de ces beaux rêves, Sancho marchait si occupé et si content qu’il oubliait le désagrément d’aller à pied.

Toute cette étrange scène, Cardénio et le curé l’avaient regardée à travers les broussailles, et ne savaient quel moyen prendre pour se réunir au reste de la troupe. Mais le curé, qui était grand trameur d’expédients, imagina bientôt ce qu’il fallait faire pour sortir d’embarras. Avec une paire de ciseaux qu’il portait dans un étui, il coupa fort habilement la barbe à Cardénio, puis il lui mit un mantelet brun dont il était vêtu,