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n’eût pas connu Luscinde, car il affirma depuis que la seule beauté de Luscinde pouvait le disputer à celle-là. Ces longs et blonds cheveux non-seulement lui couvrirent les épaules, mais la cachèrent tout entière sous leurs tresses épaisses, tellement que, de tout son corps, on n’apercevait plus que les pieds. Pour les démêler, elle n’employa d’autre peigne que les doigts de deux mains, telles que, si les pieds avaient paru dans l’eau des morceaux de cristal, les mains ressemblaient dans les cheveux à des flocons de neige. Tout cela redoublant l’admiration des trois spectateurs et leur désir de savoir qui elle était, ils résolurent enfin de se montrer. Mais, au mouvement qu’ils firent en se levant, la belle jeune fille tourna la tête, et, séparant avec ses deux mains les cheveux qui lui couvraient le visage, elle regarda d’où partait le bruit. Dès qu’elle eut aperçu ces trois hommes, elle se leva précipitamment, puis, sans prendre le temps de se chausser et de rassembler ses cheveux, elle saisit un petit paquet de hardes qui se trouvait près d’elle, et se mit à fuir, pleine de trouble et d’effroi. Mais elle n’eut pas fait quatre pas que, ses pieds délicats ne pouvant souffrir les aspérités des rocailles, elle se laissa tomber par terre. À cette vue, les trois amis accoururent auprès d’elle, et le curé, prenant le premier la parole : « Arrêtez-vous, madame, lui dit-il ; qui que vous soyez,