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devant être à moi, il me plaît d’appartenir à l’infortune, ayant pu être au bonheur. Elle a voulu, par son inconstance, rendre stable ma perdition ; eh bien ! je voudrai, en me perdant, contenter ses désirs. Et l’on dira désormais qu’à moi seul a manqué ce qu’ont pour dernière ressource tous les malheureux, auxquels sert de consolation l’impossibilité même d’être consolés[1] ; c’est au contraire, pour moi, la cause de plus vifs regrets et de plus cruelles douleurs, car j’imagine qu’ils doivent durer même au-delà de la mort. »

Ici, Cardénio termina le long récit de sa triste et amoureuse histoire ; et, comme le curé se préparait à lui adresser quelques mots de consolation, il fut retenu par une voix qui frappa tout à coup leurs oreilles, et qui disait, en plaintifs accents, ce que dira la quatrième partie de cette narration ; car c’est ici que mit fin à la troisième le sage et diligent historien Cid Hamed Ben-Engeli.

  1. Pellicer croit voir ici une allusion à cette sentence de Virgile :
    Una salus victis nullam sperare salutem.