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de nous indiquer où nous le trouverions, parce que nous lui en porterions de bon cœur et très-exactement ; et, si cela n’était pas plus de son goût, qu’il vînt les demander, mais non les prendre de force aux bergers. Il nous remercia beaucoup de nos offres, nous demanda pardon des violences passées, et nous promit de demander dorénavant sa nourriture pour l’amour de Dieu, sans faire aucun mal à personne. Quant à son habitation, il nous dit qu’il n’en avait pas d’autre que celle qu’il pouvait rencontrer où la nuit le surprenait ; enfin, après ces demandes et ces réponses, il se mit à pleurer si tendrement, que nous aurions été de pierre, nous tous qui étions à l’écouter, si nous n’eussions fondu en larmes. Il suffisait de considérer comment nous l’avions vu la première fois, et comment nous le voyions alors ; car, ainsi que je vous l’ai dit, c’était un gentil et gracieux jeune homme, et qui montrait bien, dans la politesse de ses propos, qu’il était de bonne naissance et richement élevé, si bien que nous étions tous des rustres, et que, pourtant, sa gentillesse était si grande qu’elle se faisait reconnaître même par la rusticité. Et tout à coup, pendant qu’il était au milieu de sa conversation, le voilà qui s’arrête, qui devient muet, qui cloue ses yeux en terre un bon morceau de temps, et nous voilà tous étonnés, inquiets, attendant comment allait finir cette extase, et prenant de lui grande