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sera tenu pour le meilleur chevalier du monde[1]. Aussitôt le roi ordonnera que tous les chevaliers de sa cour en fassent l’épreuve ; mais personne ne pourra la mettre à fin, si ce n’est le chevalier étranger, au grand accroissement de sa gloire, et au grand contentement de l’infante, qui se tiendra satisfaite et même récompensée d’avoir placé en si haut lieu les pensées de son âme. Le bon de l’affaire, c’est que ce roi, ou prince, ou ce qu’il est enfin, soutient une guerre acharnée contre un autre prince aussi puissant que lui, et le chevalier son hôte, après avoir passé quelques jours dans son palais, lui demandera permission d’aller le servir dans cette guerre. Le roi la lui donnera de très-bonne grâce, et le chevalier lui baisera courtoisement les mains pour la faveur qui lui est accordée. Et cette nuit même, il ira prendre congé de l’infante sa maîtresse, à travers le grillage d’un jardin sur lequel donne sa chambre à coucher. Il l’a déjà entretenue plusieurs fois en cet endroit, par l’entremise d’une damoiselle, leur confidente, à qui l’infante confie tous ses secrets[2]. Il soupire, elle s’évanouit ; la damoiselle apporte de l’eau, et s’afflige de voir venir le jour, ne voulant pas, pour l’honneur de sa maîtresse, qu’ils soient découverts. Finalement, l’infante reprend connaissance et tend à travers la grille ses blanches mains au chevalier, qui les couvre de mille

  1. Amadis de Gaule, chap. 67, part. 2, etc.
  2. Idem, chap. 14. — le Chevalier de la Croix, chap. 144, etc.