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sens véritable ; car que sont-ils, sinon des sentences tirées de l’expérience même, qui est la commune mère de toutes les sciences ? Cela est vrai spécialement du proverbe qui dit : Quand une porte se ferme, une autre s’ouvre. En effet, si la fortune hier soir nous a fermé la porte de l’aventure que nous cherchions, en nous abusant sur le bruit des marteaux à foulon, voilà maintenant qu’elle nous ouvre à deux battants la porte d’une autre aventure, meilleure et plus certaine ; et cette fois, si je ne réussis pas à en trouver l’entrée, ce sera ma faute, sans que je puisse m’excuser sur mon ignorance des moulins à foulon, ni sur l’obscurité de la nuit. Je dis tout cela parce que, si je ne me trompe, voilà quelqu’un qui vient de notre côté, portant coiffé sur sa tête cet armet de Mambrin à propos duquel j’ai fait le serment que tu n’as pas oublié. — Pour Dieu, seigneur, répondit Sancho, prenez bien garde à ce que vous dites, et plus encore à ce que vous faites ; je ne voudrais pas que ce fussent d’autres marteaux à foulon qui achevassent de nous fouler et de nous marteler le bon sens. — Que le diable soit de l’homme ! s’écria Don Quichotte ; qu’a de commun l’armet avec les marteaux ? — Je n’en sais rien, répondit Sancho ; mais, par ma foi, si je pouvais parler comme j’en avais l’habitude, je vous donnerais de telles raisons que votre grâce verrait bien qu’elle se trompe en ce qu’elle dit. — Comment puis-je me tromper en ce que je dis, traître méticuleux ? reprit Don Quichotte. Dis-moi, ne vois-tu pas ce chevalier qui vient à nous, monté sur un cheval gris pommelé, et qui porte sur la tête un armet d’or ? — Ce que j’avise et ce que je vois,